Un « homme du Président » au Lutétia

Pour le premier opus d’une série de conférences à l’hôtel Lutétia, le Magazine littéraire avait convié, le vendredi 8 avril, Bob Woodward à venir parler de son dernier ouvrage intitulé Les guerres d’Obama. Le célèbre journaliste, à l’origine avec son confrère Carl Bernstein de la révélation du scandale du Watergate, répondit pendant plus d’une heure avec précision et enthousiasme aux questions posées par la rédaction du magazine, notamment Joseph Macé-Scaron.

Il nous décrivit un Barack Obama fin stratège politique, ayant la guerre en horreur – « war is hell », lui confia-t-il ainsi, en juillet 2010, à la Maison Blanche -, au point qu’il avait projeté, une fois élu, que les troupes américains quittent au plus vite l’Afghanistan, avant d’être contraint de faire face aux réalités de terrain. De l’avis de Bob Woodward, il est très difficile pour les Républicains de contrer le Président sur les questions militaires car loin d’être un isolationniste, c’est un pragmatique, comme l’illustre aujourd’hui son envoi limité de troupes en Libye.

Très conscient de la menace terroriste planant sur les États-Unis depuis 9 ans, B. Obama serait par ailleurs désemparé face à ce que B. Woodward décrit comme un double jeu du Pakistan, dont l’obsession serait moins le terrorisme que la puissance de son voisin indien, ce qui fait dire au journaliste que l’intérêt du Pakistan n’est pas d’avoir un gouvernement afghan fort, afin de ne pas être pris en tenailles. Tel serait le cauchemar d’Obama, hanté par le précédent du Vietnam : le risque d’enlisement en Afghanistan, auquel il faut ajouter la très fragile opération occidentale de nation building. « Comme dans un mariage, nous dit B. Woodward, on progresse ; la réalité est fragile mais réversible ». Selon lui, même s’il faut rester optimiste, la transition démocratique dans le monde arabo-musulman sera longue et fastidieuse. Á propos de l’Irak, puis de l’Afghanistan, le général Petraeus aurait ainsi déclaré : « la situation est difficile mais par désespérée »… 

« Les juristes n’ont pas de vision. Ils veulent juste gagner »

Á la question : « quelle est selon vous la vision géopolitique mondiale du Président Obama ? », B. Woodward répondit que ce dernier, loin d’être un doctrinaire, était, en bon juriste, un homme du « juste milieu ». De fait, selon le grand reporter, les visions globales sont dangereuses ; il faut donc accepter l’incertitude et, au final, l’enjeu demeure de « manage the chaos of war ». Après tout, qui sait à ce stade ce qu’il va se passer en Libye et les options que B. Obama va choisir ? Tout est possible, nous met en garde B. Woodward…

Pour lui, B. Obama doit également gérer les vives rivalités entre le Pentagone et le Département d’Etat. La tension serait maximale entre la diplomatie et les militaires américains, sans parler de la C.I.A. qui entraînerait une armée secrète de 3.000 hommes en Afghanistan pour tuer et capturer les Talibans. Dans une guerre, avance B. Woodward, il faut toujours se demander ce que l’on veut faire. Le but doit toujours être clair. Cependant, c’est rarement le cas.

Á propos de wikileaks, B. Woodward estime que les « fuites » n’ont rien dit sur la manière dont les décisions sont prises par les chefs d’Etat. Or c’est selon lui le plus intéressant mais cela nécessite de longues et parfois laborieuses enquêtes, dont le vrai journalisme d’investigation ne peut se passer. L’air du temps médiatique n’y est hélas pas favorable, entre règne de l’argent roi et impératif d’urgence…

La conférence s’acheva sur une touche d’humour. Alors qu’on déposait discrètement un message sur la table des intervenants, B. Woodward raconta au public cette anecdote : le 22 novembre 1963, alors étudiant, il assistait à un cours sur Robespierre. Une personne de l’administration est entrée dans la salle et a donné un mot au professeur, sur lequel était inscrit : « Le président Kennedy a été assassiné à Dallas ». « Depuis, chaque fois que l’on pose sans bruit une feuille de papier devant moi, mon cœur se met à battre la chamade », confessa B. Woodward…