Et l’on reparle des Noirs en Amérique

Comme souvent, la question « raciale » peut s’envisager au miroir franco-américain, et l’actualité récente nous en fournit l’occasion. À l’heure où font rage, dans le football français, les débats sur le souhait – réel ou supposé – de mettre en place des quotas ethniques, voire « raciaux » de joueurs, aux Etats-Unis, les résultats du recensement de 2010, qui sont en train d’être diffusés, sont riches d’enseignements et d’interprétations. On apprend ainsi que de plus en plus d’individus se définissent comme métis ou « multiraciaux ».

Afin de mieux connaître la population vivant ou séjournant aux États-Unis, les autorités américaines demandent en effet aux individus à quelle(s) race(s) ils estiment appartenir. Ils doivent pour ce faire cocher une ou plusieurs cases dans les formulaires administratifs. Il s’agit donc non pas d’une classification par « races » opérée d’en-haut mais d’un processus d’auto-déclaration, ce qui constitue évidemment une différence majeure.

En 2010, dans l’ensemble du pays, 2,9% de la population se sont définis comme « multiraciaux », ce qui représente une augmentation de 32% en 10 ans. D’après le New York Times, c’est surtout perceptible dans le sud et le midwest. La part de ceux qui se considèrent à la fois comme noirs et comme blancs aurait augmenté de 134%, en particulier chez les jeunes. Si, en 2000, la combinaison la plus employée, dans le formulaire du recensement, était « blanc » et « une autre race » et concernait surtout les Hispaniques qui sont une ethnie et non une « race » aux yeux de l’État (une autre rubrique administrative pose pour sa part la question de l’« hispanicité »), elle a, 10 ans plus tard, été devancée par la combinaison « noir » et « blanc » (20,4% versus 19,3% de l’ensemble des combinaisons).

Cela correspond à l’augmentation des mariages mixtes mais aussi et surtout à une évolution de la perception que les individus ont d’eux-mêmes, l’appartenance « raciale » étant fondamentalement subjective – ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle soit dénuée de toute signification politique.

Les banlieues résidentielles, un nouveau melting-pot ?

Un autre élément d’information du dernier recensement national des États-Unis, relaté par des think tanks comme la Brookings Institution et l’American Enterprise Institute (AEI), est le fait que les Noirs quittent de plus en plus les centres des grandes villes pour s’installer en banlieue dans les zones résidentielles, jusque là surtout habitées par les Blancs. Ce n’est pas la fin des ghettos noirs, nous dit l’AEI, mais c’est une tendance. De fait, comme le détaille la Brookings, les minorités ethniques comptent désormais pour 35% des habitants des banlieues pavillonnaires, ce qui correspond à leur part dans la population générale américaine. Dans les zones péri-urbaines de villes comme Houston, Las Vegas, San Francisco et Washington, les Blancs seraient même minoritaires. La proportion de Noirs dans les grandes banlieues serait quant à elle passée de 37% en 1990 à 44% en 2000 et à 51% en 2010.

Bonne nouvelle ? Pas forcément, selon certains qui voient la mixité « raciale » urbaine comme un frein à l’existence de « majority-black legislative districts », autrement dit de quartiers « racialement » homogènes, ce qui rendrait moins audible la voix politique des Africains-Américains. La question devient alors : les Noirs ne peuvent-ils être représentés politiquement que par des Noirs, et inversement ? Ou bien les déménagements vers les banlieues ne signifient-ils pas qu’il faille les considérer avant tout comme des électeurs de la classe moyenne ? Comme se le demande l’AEI, « en 2011, l’intégration politique des Noirs suppose-t-elle réellement de défendre les candidats noirs de la concurrence des Blancs dans des circonscriptions basées sur la ‘‘race’’ ? ».

De fait, pas plus qu’ailleurs, y compris en France, il n’existe aux États-Unis de « vote noir », sinon de « communauté noire ». On sait simplement que les Africains-Américains sont plus touchés que les Blancs par la pauvreté, le chômage, l’exclusion et l’échec scolaire.

Si tant est qu’il y en ait eu un, le message « racial » que Barack Obama a fait passer, en novembre 2008, était le suivant : parler de la « race » pour dépasser le racisme. Car si la « race » au sens biologique n’existe pas, la « race-consciousness » demeure néanmoins dans les mentalités et les structures sociales qui en sont le produit. Dès lors, si les lignes de clivage se déplacent et si l’Amérique se voit, voire se définit comme étant de plus en plus « multiraciale », c’est plutôt bon signe. Comme le souligne la Brookings, ces évolutions sont significatives à tous les niveaux de la société, et les responsables politiques devront en tirer les leçons.