Karabatic, héros déchu : quand les médias font du sport un monde à part

Tribune publié sur le site du "Nouvel Observateur", le 10.10.12

« Coup de tonnerre », « séisme », « trahison »… Les mots sont durs pour qualifier ce qui n’est, pour l’instant, qu’une supposée infraction sportive de quelques dizaines de milliers d’euros. Comme souvent, la couverture médiatique d’un fait d’actualité est plus intéressante que le fait lui-même : plusieurs éléments méritent que l’on s’y arrête. J’en choisirai quatre.

Les déclarations hasardeuses du procureur

Tout d’abord, la confusion entre, d’une part, l’interdiction, pour un sportif professionnel et son entourage immédiat, de parier sur les compétitions auxquelles il participe et, d’autre part, le délit de tricherie (faire sciemment en sorte de perdre un match), qui relève du code pénal et s’avère bien plus difficile à établir.

Le procureur de Montpellier ne s’est pas embarrassé de cette distinction, pourtant essentielle, et s’est improvisé expert en handball dès les premières heures de l’affaire.

Pour lui, comme il l’a dit aux journalistes, « de fortes suspicions » existent quant au fait que le match ait été truqué, étant donné que la prestation du gardien de but de Montpellier lui semblait « très moyenne » par rapport à d’habitude et que l’entraîneur a « passé un savon à ses joueurs à la mi-temps ».

On ne peut que s’étonner de cette estimation hasardeuse…

La présomption d’innocence bafouée

Deuxièmement, il est stupéfiant de voir comment la présomption d’innocence est allègrement bafouée. Comme l’a dit Claude Onesta, l’entraîneur de l’équipe de France de handball, « tous les jours, on se rend compte qu’on fait bien de se taire ».

Ce n’est pas l’option privilégiée par certains élus de Montpellier. Par un effet de projection, ils se disent trahis par la dégradation de l’image de certains handballeurs. Mais ce qu’ils déplorent avant tout, c’est d’avoir misé sur un joueur et d’avoir perdu… leur pari. Nikola Karabatic avait été « racheté » au club allemand de Kiel, grâce entre autres à un versement de 800.000 euros émanant des collectivités locales. La municipalité attendait un retour sur investissement.

L’on apprend ainsi que le joueur a prêté son image à la ville pour une publicité. Karabatic incarnait le sport-performance, l’abnégation et la perfection… L’échec de cette stratégie de communication (et ce qu’elle a coûté) fait dire au président de Montpellier Agglomération, Jean-Pierre Moure, que « les branches vermoulues seront coupées ». Autrement dit, il faut un bouc émissaire. Au-delà, on peut légitimement s’interroger sur les priorités financières de certaines collectivités en matière de politique sportive.

Du reste, il est probable que, si les paris avaient porté sur la victoire de Montpellier, on en voudrait moins aux joueurs. Ce sont les valeurs de la « gagne » qui sont en cause… Les Karabatic sont des perdants ! Ils n’aiment pas leur club, puisqu’ils misent sur sa défaite ! Que le match fût sans enjeu, Montpellier étant assuré d’être champion de France, n’y change rien.

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