Les cosmétiques chics et urbains dérangent le genre

Le marketing nous a habitués à une sexualisation très forte des produits qu’il veut nous faire acheter. Des tâches domestiques à la voiture, la répartition des rôles sociaux des hommes et les femmes va jusqu’à la caricature. La publicité ne présente pas le monde tel qu’il est, mais participe d’une construction de ce dernier : assigner une place précise et immuable à chacun des deux sexes est censé donner des repères, bref rassurer. En ce sens, marketing et publicité sont souvent réac’.

Dans le domaine du luxe, les frontières entre le féminin et le masculin sont davantage mouvantes. C’est assez logique, puisque l’on sait que les stéréotypes de genre sont bien plus prononcés dans les classes populaires que dans les classes aisées. C’est en particulier vrai dans les codes de la séduction et dans l’apparence. Le brouillage des genres est un classique, dans le luxe, depuis au moins les années 1920. Look androgyne, vestiaire féminin-masculin, encouragement des hommes à prendre soin de leur corps… Le champ des possibles est désormais immense, ludique, plaisant. C’est, quoi qu’on en dise, une forme de liberté.

Certaines marques (Kiehl’s, Aesop, Ducray, etc.) s’inscrivent dans cette évolution en dégenrant leurs produits cosmétiques. Ce qui se nomme parfois la « mixité esthétique » s’adresse à des individus (certes socialement situés) autonomes et sûrs de ce qu’ils veulent. Pour adhérer à ce marketing et donc être séduit par les produits qu’il met en valeur, il faut en effet accepter, ou assumer, de sortir pour un temps des normes figées de « ce qui fait femme » et de « ce qui fait homme », et privilégier la qualité des produits : bios, vegan, sains, efficaces avant tout. Économiquement tout autant que sociologiquement, la cible est le cadre urbain branché et doté d’un haut capital culturel.

Jouer avec les codes du masculin et du féminin, transgresser la norme, pour être soi : une évolution, certes élitiste (du moins pour le moment), que le marketing a bien saisie. Et finalement, c’est tant mieux ; cela prouve que la société bouge.