Des lois contre les femmes ? Des États américains restreignent drastiquement l’avortement, au mépris de la Constitution

Publié sur le site du Huffington Post, le 1/04/13

Aux États-Unis comme ailleurs, les anti-avortement ne pensent qu’à ça… La sexualité des femmes, qu’il s’agit plus que jamais de contrôler, ne cesse de les obséder.

Ces dernières années, plusieurs États ont voté des lois qui limitent considérablement l’accès à l’IVG. Les conservateurs s’étaient jusque là « contentés » d’allonger la « période de réflexion » pour les femmes, de les contraindre à écouter battre le cœur du fœtus lors d’une échographie (afin de les décourager d’avorter), d’obliger les mineures à obtenir le consentement de leurs parents, ou encore d’abaisser à 20 le nombre de semaines d’aménorrhée après lesquelles l’avortement deviendrait illégal. Certaines de ces mesures sont actuellement examinées par des tribunaux fédérés, tant leur constitutionnalité est sujette à caution. En effet, selon l’arrêt « Roe versus Wade » de 1973 de la Cour Suprême, qui fait référence, une femme ne peut plus avorter – sauf cas particuliers, par exemple si sa vie est menacée – à partir du moment où l’enfant à naître est viable (ce qui correspond environ à 24 semaines d’aménorrhée).

Deux États souhaitent aujourd’hui aller encore plus loin. En Arkansas, selon une loi qui vient d’être votée dans l’indifférence générale, l’IVG serait interdite à partir de la 12e semaine, lorsque « le battement de cœur du fœtus est typiquement reconnaissable ». Cette loi, intitulée Human Heartbeat Protection Act, ne concerne pas, cependant, les IVG consécutives à un viol ou à un inceste, ou réalisées pour raison médicale.

Dans le Dakota du Nord, où trois nouvelles lois ont été approuvées par le gouverneur, on ne s’embarrasse pas de telles considérations. La première de ces lois dépasse tout ce qu’on a pu voir jusque là. En effet, l’avortement deviendrait illégal à partir de… 6 semaines d’aménorrhée, et ce, même en cas de viol, d’inceste, de danger pour la santé de la mère ou d’anomalie du fœtus ! Les chiffres ont leur importance : les médecins seraient en mesure, dès 6 semaines, d’entendre battre le cœur du fœtus… mais il leur faudrait pour cela introduire un appareil à ultrason dans le vagin (ce qui n’est pas nécessaire au stade des 12 semaines, une échographie « classique » le permettant).

Le scandale des ultrasons intra-vaginaux

Une telle mesure avait été envisagée en Virginie mais avait provoqué une telle controverse qu’elle avait finalement été abandonnée. Cette loi du Dakota du Nord reste floue sur les modalités de vérification de l’existence desdits battements de cœur – dont l’importance est surtout symbolique. Cependant, étant donné que, dans cet État, une seule clinique (la Red River Women’s Clinic) est habilitée à pratiquer des avortements, il y a fort à parier que les médecins y seraient particulièrement surveillés. Selon certains experts, ils pourraient être poursuivis s’ils ne pratiquent pas la technique d’ultra-sons intra-vaginale lorsqu’une femme souhaitant avorter vient les consulter.

Or, il faut dénoncer l’ignominie du procédé, à savoir l’intrusion d’un instrument dans le vagin sans aucune justification médicale. À lui seul, il résume l’idéologie selon laquelle le corps de la femme ne lui appartient pas, mais appartient à la communauté, à la nation. C’est une négation profonde de la dignité, de l’individualité, de l’identité humaine. La frontière avec le viol semble bien mince…

La deuxième loi concerne les médecins pratiquant des avortements : ils devront obligatoirement être affiliés à un hôpital proche (moins de 30 miles) de la Red River Women’s Clinic, ce qui semble impossible et met donc en péril l’existence de cette dernière. La troisième loi interdit tout avortement en cas de maladie génétique du fœtus ou s’il est motivé par le choix du sexe de l’enfant à venir.

Enfin, le parlement du Dakota du Nord a, il y a quelques jours, adopté une résolution affirmant que la vie commençait dès la conception, ce qui revient à considérer le fœtus, et même l’embryon comme une personne. Cette mesure sera soumise au vote des citoyens l’an prochain pour être intégrée à la Constitution de l’État (elle a déjà été rejetée dans le Mississipi et au Colorado).

Les opposants à ces lois anti-IVG critiquent la fuite en avant de « fly-by-night politicians » (politiciens « givrés »). « Givrés » mais de plus en plus nombreux… Pour Rita Sklar, directrice de l’American Civil Liberties Union de l’Arkansas, ces décisions « démontrent un profond mépris pour les femmes et pour leur capacité à prendre des décisions importantes concernant leur propre santé reproductive ».

Que ces lois soient validées ou non par les tribunaux (ce qui semble compromis pour au moins deux d’entre elles dans le Dakota du Nord et pour celle de l’Arkansas), elles lancent un défi à la Cour Suprême : les pro-life considérant l’avortement comme illégitime, ils font tout pour qu’il devienne illégal et, si possible, anticonstitutionnel.

Sauver l’Amérique blanche

Le langage étant politique, les anti-IVG parlent de « réveiller la nation »… Car si le droit des femmes à disposer de leur corps est bafoué, si leur santé, leurs libertés et leur avenir sont niés au nom d’un certain fondamentalisme religieux, il y a aussi, dans cette obsession de limiter l’avortement, un enjeu démographique : la perspective, pour les Américains d’origine européenne, de devenir minoritaires aux États-Unis d’ici 30 ans. Pour certains, c’est insupportable et même… obsessionnel. Un sénateur républicain de l’Arkansas, Jason Rapert, compare du reste l’avortement à un génocide (par définition programmé). Aux yeux d’une partie des conservateurs, la nation blanche américaine ferait donc l’objet d’un projet d’anéantissement, ce qui ne serait pas si surprenant avec un Président à moitié noir… ! Rappelons donc que les plus violents opposants à l’avortement ne se recrutent pas que dans les rangs de la droite religieuse.