Bartoli victime de sexisme à Wimbledon : le sport demeure la chasse gardée des hommes

Article co-écrit avec Julian Jappert, directeur de Sport et Citoyenneté, et publié sur NouvelObs/Le Plus, le 8/07/13

Comme l’a bien résumé une internaute britannique sur Twitter : « Gagner Wimbledon ne suffit plus, visiblement. Il faut aussi être blonde et mince ». Ce commentaire s’adresse à John Inverdale, journaliste sportif de la BBC, qui a déclaré, après la victoire de Marion Bartoli :  « Pensez-vous que le père de Bartoli lui disait quand elle était petite : ‘Tu ne seras jamais canon, tu ne seras jamais une Sharapova, donc tu dois t’accrocher et te battre’ ? ». John Inverdale a expliqué ensuite avoir voulu faire une blague, et c’est bien le problème : l’humour sexiste se porte très bien, en particulier dans le sport.

Des phrases assassines, banalisées par les médias

Les médias français qui aujourd’hui s’offusquent des propos du commentateur de la BBC seraient bien inspirés, pour certains, de balayer devant leur porte. Car ils ont la mémoire courte : les petites phrases assassines sur l’apparence physique, le poids, les gestes jugés peu gracieux de Marion Bartoli se succèdent depuis des années.

En 2010, Marc-Olivier Fogiel la qualifiait de « grosse ». Plus récemment, le gratuit « 20 Minutes » parlait de « physique atypique » : ce terme est tout à fait révélateur. Est atypique celle qui n’est pas dans la norme, à savoir, pour une sportive, glamour et sexy, selon des représentations communes largement relayées et construites par les médias.

En 2010 toujours, Bartoli déplorait ne pas trouver de sponsors parce qu’elle ne correspondait pas à ces canons esthétiques :  « Je suis 11e mondiale et j’achète toutes mes tenues moi-même. (…) C’est la politique des sponsors. Nike a décidé d’investir 75 millions de dollars sur Maria Sharapova. (…) Je ne suis peut-être pas assez blonde, pas assez mince, pas assez grande ».

La numéro un française est musclée, c’est un fait, et cela peut être utile dans le sport… Serena Williams, elle-même très musclée, fait également l’objet de moqueries récurrentes. Elle a ainsi été copieusement insultée lors de sa finale (gagnée) de Roland-Garros contre Maria Sharapova ( « La belle et la bête », a-t-on pu lire sur les réseaux sociaux – on notera la double insulte sexiste et raciste dans son cas).

Les sportives doivent être jolies… mais aussi fragiles

Encore aujourd’hui, une « vraie » sportive – comprendre une sportive légitime –, aux yeux des organisateurs, diffuseurs, sponsors, voire dirigeants sportifs (tous très majoritairement des hommes) est avant tout jolie au regard des canons en vigueur.

En effet, comme de nombreux exemples l’ont illustré ces derniers mois (jupette obligatoire en handballet en badminton, bikini pour les joueuses de beach-volley, sensualité pour les surfeuses, etc.), l’apparence physique des sportives est non seulement prioritaire sur leurs performances, mais doit aussi correspondre à certains stéréotypes de genre et à une hétéronormativité : leur image est sexualisée, voire racoleuse.

On pense aux propos de Pierre Ménès, qui qualifiait les footballeuses de « grosses dondons » avec qui « personne ne veut sortir le samedi soir »… Comme l’a dit Catherine Louveau sur Le Plus, les sportives doivent avant tout plaire aux hommes.

Mais ce n’est pas tout. Dimanche 7 juillet, sur l’antenne de BFM-TV, Patrice Dominguez, consultant tennis pour la chaîne, évoquait la sensibilité de Marion Bartoli, qui l’aurait empêché de gagner jusqu’ici. Selon lui, « l’affectif est plus important dans le tennis féminin que dans le tennis masculin ». Voilà un autre préjugé sur la fragilité supposée des femmes, qui contribue à les décrédibiliser.

Les femmes ne sont toujours pas des sportives légitimes

Réduire les sportives à des objets sexuels ou à une certaine sensibilité n’est pas sans lien avec le fait que le sport demeure une chasse gardée masculine. Lorsqu’on parle de sport en général, il s’agit implicitement d’une équipe ou d’un athlète masculins. Pour les femmes, il est nécessaire d’ajouter l’adjectif « féminin ».

En effet, dans le sport comme dans toutes les sphères sociales, les hommes représentent le neutre, l’universel, et les femmes, la différence, la marge. Endurance, compétition, abnégation, résistance à l’effort sont censées être masculines. Les femmes demeurent des passagères clandestines dans ce monde d’hommes qui protège ses prérogatives, toutes griffes dehors.

Les déclarations, l’an dernier, de Gilles Simon et de Jo-Wilfried Tsonga sur le fait que les joueuses de tennis seraient trop payées compte-tenu de leurs performances physiques et du peu (!) de spectateurs qu’elles attirent en sont emblématiques. Or, si le tennis est un sport de force, il exige aussi une très forte technicité et un sens tactique aigu. Sans oublier que certaines joueuses tapent plus fort la balle que certains joueurs.

Par ailleurs, anticiper une moindre audience médiatique du sport féminin est une erreur : les footballeuses et les handballeuses suscitent un engouement fort et croissant des spectateurs. Samedi, Canal Plus a réalisé l’une de ses meilleurs audiences avec la finale de Bartoli à Wimbledon.

Certains propos machistes sont aujourd’hui dénoncés avec plus de force qu’hier. Les réseaux sociaux, notamment, sont une arme anti-sexisme : ils donnent aux féministes (femmes et hommes), comme à l’opinion publique outrée de la persistance d’insultes et de préjugés discriminatoires, un écho inédit, même s’il demeure, hélas, insuffisant.

Les temps changent mais les résistances sont fortes. Le sport féminin souffre encore d’une moindre considération et d’une faible médiatisation.