Immigration : le Sénat américain vote la loi, les républicains restent très divisés

Article publié sur le Huffington Post, le 6/07/13.

Par un large vote (68 contre 32), le Sénat américain, à majorité démocrate, vient d’approuver une loi réformant l’immigration aux États-Unis. 14 républicains (sur 46) ont voté pour. Parmi eux, John McCain (Arizona), Lindsey Graham (Caroline du Sud) et Marco Rubio (Floride), membres du « gang » dit « des 8 » – quatre sénateurs républicains et quatre démocrates – qui a réussi à élaborer un texte bipartisan.

Que dit cette loi? La régularisation des « immigrants illégaux » sera facilitée, en échange d’un renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine au Sud du pays. Plus précisément, l’accès à la citoyenneté pour les 11 millions de sans-papiers actuellement aux États-Unis devrait durer pas moins de 13 ans. Ils devront, entre autres, s’acquitter d’une amende de 500 dollars (385 euros) et prouver leur maîtrise de l’anglais. Mais ils ne seront pas prioritaires, parmi les étrangers, pour obtenir des papiers. De son côté, la frontière avec le Mexique sera davantage sécurisée, grâce notamment à l’emploi de drones et à l’embauche de 20 000 gardes-frontières supplémentaires (ce qui grosso modo doublerait leur nombre actuel). Par ailleurs, l’immigration de travail sera amplifiée: fin du système de loterie pour l’obtention d’une carte verte, multiplication des visas de travail pour les personnes hautement qualifiées comme les ingénieurs des TIC…

Les sénateurs républicains qui ont voté cette loi ne sont pas des philanthropes. La première raison de ce vote est électoraliste: ils ont (enfin) compris que la démographie des États-Unis subissait un changement majeur (les Blancs d’origine européenne seront minoritaires à l’horizon 2050) et ont bien noté que plus des deux-tiers des Hispaniques avaient voté Obama en 2012. La seconde raison est économique: dans certains secteurs, la pénurie de main d’œuvre invite à recourir à l’immigration. Des groupements professionnels du bâtiment, des services à personne, de l’industrie agroalimentaire (notamment les fermiers) et des nouvelles technologies ont fait entendre leur voix auprès des politiques: ils ont du mal à recruter parmi la population américaine. Preuve, s’il en fallait, que l’immigration crée de la richesse.

Avec cette loi, qu’il a soutenue, Marco Rubio (lui-même d’origine cubaine, ex-chouchou desTea Party), pose les pions de son avenir présidentiel. Ses rivaux parmi les sénateurs (le Tea Party Rand Paul et le conservateur Ted Cruz, lui aussi originaire de Cuba) ne misent pas sur l’immigration pour se démarquer. Ils ne sont pas les seuls…

En effet, une partie non négligeable des élus et des électeurs républicains sont opposés à une réforme de la politique migratoire, surtout dans les États traditionnellement conservateurs (Sud et Midwest) et dans ceux où la population « latino » est peu nombreuse. Ainsi, dans 70 % des circonscriptions républicaines, les Hispaniques comptent pour moins de 10 % de la population (c’est notamment dû aux redécoupages électoraux). Pour certains, notamment chez les Tea Party, la loi sur l’immigration, voulue et défendue par le « socialiste » Obama, n’est rien d’autre qu’une tentative supplémentaire du gouvernement fédéral de s’immiscer dans la société américaine.

La Chambre des Représentants (à majorité républicaine) ne votera peut-être pas la loi que le Sénat vient d’approuver, du moins en l’état. C’est ce qu’a dit John Boehner, le président républicain de la Chambre, qui refuse de réitérer l’expérience du Sénat d’un texte de compromis avec les démocrates. Les représentants républicains vont demander plus de gages quant à la sécurisation de la frontière mexicaine, peut-être rédiger leur propre projet de loi et surtout gagner du temps, en attendant les élections de l’automne 2014. En effet, la Chambre est renouvelée tous les deux ans et il y a fort à parier qu’un grand nombre de représentants ne prennent pas le risque de perdre l’élection si leur base est opposée à une réforme de l’immigration.

Logiques locales contre logique nationale… Et pourtant, cette loi est une occasion presque inespérée pour le GOP de retrouver son unité et de regarder sereinement vers l’avenir. Le sénateur Lindsay Graham, connu pour ses positions modérées et son goût du consensus, parle, à propos de son parti, de « spirale de la mort démographique ». It is up to republicains to decide, now (Aux républicains de décider maintenant). Mais ils ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas…