Pour le Front National, l’équipe de France masculine de football est « color-blind » (quand elle gagne)

La qualification des Bleus pour le mondial 2014 au Brésil est un non-événement pour le FN : l’événement (et le problème), c’est le discours multiculturaliste qui accompagne cette victoire.

Le conseiller aux sports de Marine Le Pen minimise le résultat du match du 19 novembre dernier en écrivant ceci sur le site du parti : « on était en droit d’attendre » cette victoire qui, du reste, « face à une équipe ukrainienne qui n’a participé qu’à une seule phase finale de coupe du monde dans son histoire, n’est ni un exploit, ni une fin en soi. Elle doit marquer le début de la rédemption pour une équipe de France dont personne n’a oublié les frasques et le fiasco comportemental lors du dernier rendez-vous en Afrique du Sud. Seule une attitude exemplaire aussi bien sur le terrain qu’en dehors effacera le douloureux souvenir de Knysna ».

Que l’équipe gagne, par trois buts à zéro, ne constitue donc pas « une attitude exemplaire » parce que ce qui s’est passé il y a maintenant trois ans et demi reste indélébile. On ne peut pas tourner la page, aucun des succès qui suivront n’y fera rien.

Sans surprise, que deux buts aient été marqués par un certain Mamadou Sakho et un troisième par Karim Benzema ne peut que faire grincer des dents au Front National… De fait, pour le FN, parler de France « black blanc beur » est une « récupération politique pitoyable » (et non pas une réalité sociale à admettre), c’est un « concept racialiste » (ce sont des spécialistes qui le disent !).

Ce discours frontiste est très intéressant : il y a selon lui un « problème communautaire » au sein du football dans notre pays (voir les très nombreux interviews et communiqués de l’extrême droite en ce sens) mais, lorsqu’elle gagne, l’équipe de France dépasse ses origines ethniques, c’est une équipe « color-blind », « un collectif, un état d’âme, une abnégation et l’envie de se surpasser ». Toujours selon le conseiller aux sports de la présidente du Front National : « unis, les Français sont invincibles ! » (signalons la contradiction puisque, comme on l’a dit, la victoire du 19 novembre est minimisée). La ficelle est un peu grosse mais c’est aussi à ça qu’on la reconnaît.

Bruno Gollnisch s’est également exprimé sur son blog : de son point de vue, c’est surtout le racisme africain qui est présent dans le football. Ainsi, « le racisme le plus détestable, le plus bas de plafond n’a pas été absent de (la) confrontation (Algérie/Burkina Faso) lors du match aller (des éliminatoires) avec l’aigreur de supporteurs algériens très critiques à l’égard de l’arbitrage du Zambien Janny Sikazhue (qui) a viré au lynchage raciste ».

Il veut aussi mettre en avant ce qu’il considère comme l’élément le plus important de la soirée du 19 novembre, à savoir la célébration « bruyante », par les Algériens de France, de la victoire de leur équipe « dans de nombreuses villes de France et de Navarre, pavoisées aux couleurs du drapeau algérien : jets de pétard, chants patriotiques, convois, sirènes hurlantes, bloquant la circulation, arrêtant les bus et les métros (comme  à la station Barbès) ». Gollnisch ajoute que des policiers de Marseille ont été « pris à partie, encerclés et caillassés  par ‘une centaine d’individus’ (selon le quotidien La Provence), contraints de se retrancher dans le marché de Noël, tout un symbole ». Le Dieu chrétien protège les policiers de Marseille menacés par des hordes de Sarrasins… Bref, revoilà le storytelling de la France plurielle, donc sauvage, qui ne peut que créer de la zizanie et de la violence.

En revanche, la victoire du onze tricolore contre l’Ukraine, elle, « a donné lieu pour le coup à une joie bien légitime de beaucoup de nos compatriotes » : joie légitime sans aucun débordement, selon Gollnisch, puisque française (parmi les Français, nulle mention, cette fois, de ceux qui sont de 2e ou de 3e génération d’immigrés).

Les Français, donc, « qui se sont sentis légitimement humiliés par l’image désastreuse donnée ces dernières années par les mercenaires et autres enfants gâtés composant notre équipe nationale, donnant l’impression de mépriser le maillot qu’ils avaient l’honneur de porter ». Là encore, on ne parvient pas à tourner la page de Knysna (il y a fort à parier que le FN ne la tournera jamais, même si le France gagnait le mondial 2014).

Le complot multiculturaliste

Autre point déploré par Gollnisch, le complot multiculturaliste : « cette victoire contre l’Ukraine est aussi le prétexte de célébrer, pour les figures du Système et au nom de sombres arrière-pensées, les bienfaits de l’immigration. La preuve en serait apportée par une équipe black-blanc-beur qui serait l’image fidèle de la France contemporaine et plus encore de la France souhaitable de demain ». Pour le FN, décidément, la France qui gagne n’est pas, ne peut pas être métissée.

Gollnisch ajoute : « Le football est une invention française qui nous est revenue d’outre-Manche avec un nom anglais. Les cultures des immigrés n’y sont pour rien ». Sauf que le monde a changé depuis le 19e siècle. Mais le FN pense toujours que la France doit être une société blanche, uniforme et catholique. Une société fermée, qui n’existe pas et n’a jamais existé.