États-Unis : la bataille contre les inégalités

Tribune publiée dans "Libération", le 28.01.14

L’automne prochain auront lieu les élections de mi-mandat aux Etats-Unis : la Chambre des représentants sera renouvelée intégralement, ainsi qu’un tiers du Sénat. Les thèmes de campagne commencent à apparaître : outre la réforme de la législation sur l’immigration, la lutte contre les inégalités devrait figurer en bonne place sur l’agenda des candidats. Elle pourrait être l’un des sujets abordés, aujourd’hui, par le président Obama lors de son discours sur l’état de l’Union.

L’enjeu, pour les démocrates, est de faire oublier aux électeurs les difficultés de la mise en place de la réforme de la santé, difficultés sur lesquelles leurs adversaires ne manqueront pas de revenir. Mais les républicains sont confrontés à un autre problème de taille : leur impopularité, aggravée par le «shutdown» de l’automne dernier, et leurs profondes divisions que les débats sur l’immigration risquent d’accroître encore. Les élus républicains modérés, le monde des affaires et une partie de la droite religieuse sont favorables à une réforme (vastes régularisations et immigration de travail conditionnées à une fermeture plus stricte de la frontière avec le Mexique), alors que les Tea Parties et d’autres élus ultraconservateurs de l’Amérique profonde préfèrent le statu quo.

Le thème susceptible d’occasionner un face à face bipartisan est donc la réduction des inégalités sociales et économiques. Démocrates et républicains font un diagnostic en partie identique mais envisagent des solutions radicalement opposées. Le président Obama l’a rappelé : les inégalités ne sont pas un problème en soi aux Etats-Unis. Elles le deviennent dès lors que la mobilité sociale est au point mort, que le pays n’est plus un land of opportunity. Les conséquences sont directes en termes de compétitivité, de croissance, de lien social et de confiance dans les institutions. Ce constat est partagé par les républicains qui ne veulent pas donner l’impression d’une indifférence vis-à-vis des plus défavorisés, et qui sont en panne d’électeurs. Ils souhaitent éviter un fiasco sur le sujet, comme lors de la campagne présidentielle de 2012 : leur candidat, Mitt Romney, avait alors affirmé qu’il y avait dans le pays 47% d’assistés, qui ne le concernaient pas. Certes, les Tea Parties, opposés à toute intervention de l’Etat dans la société, sont, comme souvent, une exception. Mais ils risquent d’être isolés : l’appauvrissement de la classe moyenne entraîne une baisse de la consommation, et donc un ralentissement de l’économie qui inquiète la droite américaine.

C’est au niveau des solutions envisagées que démocrates et républicains ont des points de vue divergents. Ce qu’il ne faut pas, disent les seconds, c’est accroître les allocations, qui occasionnent trop d’impôts. Ils souhaitent encourager l’initiative privée, la formation professionnelle, voire une pause fiscale pour les travailleurs précaires. Ils ne veulent pas non plus d’une politique uniforme, pilotée par Washington : les Etats fédérés doivent avoir la main – les élections de mi-mandat obéissent à des logiques locales. L’ultraconservateur Paul Ryan, ex-colistier de Mitt Romney, propose de miser sur la solidarité des communautés, des églises, des associations. Comme George W. Bush à son époque. Toutefois, certains élus républicains ont, dans leur circonscription, tellement réduit les aides sociales et restreint certaines libertés comme l’accès à l’avortement – ce qui pénalise surtout les femmes de milieu populaire – qu’ils risquent d’être peu crédibles.

De leur côté, afin d’éviter les critiques de leur aile droite, le président Obama et les élus démocrates ciblent, dans leurs discours, les «travailleurs pauvres» : ils promettent une augmentation du salaire minimum, dans les Etats fédérés comme au niveau de l’Etat fédéral, et l’extension de l’assurance chômage. Ils insistent sur les inégalités de revenus, les problèmes pour «finir le mois» quand on a un petit salaire et les inquiétudes de la middle class pour l’avenir de ses enfants. Barack Obama veut refaire de l’Amérique «un pays d’opportunités», pour tous. En d’autres termes, renforcer l’égalité des chances. Plus concrètement, il souhaite investir dans l’éducation dès le plus jeune âge, via l’accès de tous les enfants à l’école pré-élémentaire. La mise en place des promise zones va dans ce sens. Il promet aussi de lutter contre la discrimination dans l’emploi, en particulier celle à l’encontre des femmes.

Néanmoins, comme le souligne la Brookings Institution, beaucoup de choses restent floues dans ces annonces : quid des pauvres qui ne travaillent pas ? Va-t-on (enfin) augmenter les impôts des très riches ? Investir dans des programmes de soutien à la parentalité, dans le salaire des enseignants ? Multiplier les bourses pour les élèves méritants mais défavorisés ? Autant de points qui devront être clarifiés au fur et à mesure que l’échéance électorale de l’automne se rapprochera.

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