Loi sur l’immigration : John Boehner ou la politique des petits pas

Signe d’une volonté d’apaisement, le président républicain de la Chambre des Représentants, John Boehner, vient d’embaucher l’ancienne conseillère aux questions d’immigration de John McCain, ce qui signifie qu’il sort le dossier du tiroir. Les critiques dont il fait l’objet, l’épisode du shutdown et l’impopularité de son parti ont sans doute infléchi sa position dans la perspective des élections de mi-mandat à l’automne.

L’été dernier, le Sénat avait, grâce à un compromis entre les élus démocrates – majoritaires – et républicains, voté une loi réformant de manière importante l’immigration aux États-Unis : la régularisation des illegals déjà présents dans le pays serait facilitée en échange d’un renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine au Sud. La frontière avec le Mexique serait ainsi davantage sécurisée par l’utilisation de drones et le doublement du nombre de gardes-frontières. L’accès à la citoyenneté américaine pour les 11 millions de sans-papiers actuellement aux États-Unis pourrait tout de même durer des années. Mais l’immigration de travail serait encouragée : fin du système de loterie pour l’obtention d’une carte verte, multiplication des visas de travail pour les personnes dotées d’une compétence spécifique comme les ingénieurs en informatique, etc.

Mais cette loi tarde à être débattue à la Chambre des représentants, en particulier parce que de nombreux élus républicains ne veulent pas en entendre parler avant les élections de mid-term ou bien refusent l’idée d’une refonte globale de la politique d’immigration. Le texte voté au Sénat n’étant valable que jusqu’à la fin de l’année 2014, beaucoup ont décidé de gagner du temps.

Dès lors, la tâche ne s’annonce pas aisée pour J. Boehner qui doit les convaincre de l’enjeu crucial de cette réforme, sur les plans tant électoral qu’économique. D’une part, les élections présidentielles de 2016 ne se gagneront pas en s’aliénant l’électorat hispanique. La leçon de 2012 doit être tirée : Mitt Romney, partisan d’une ligne dure sur l’immigration, avait recueilli à peine plus d’un quart du vote latino. D’autre part, dans certains secteurs, la pénurie de main d’œuvre invite à recourir à l’immigration. Groupements professionnels et lobbies du bâtiment, de l’industrie agroalimentaire (notamment les fermiers), des nouvelles technologies et des services à personne s’efforcent de passer le message auprès des républicains. Comme beaucoup de pays développés, les États-Unis ne peuvent faire sans l’immigration économique.

La partie n’est pas gagnée… Au niveau des États fédérés, surtout dans le Sud et le Midwest conservateurs, les candidats n’ont pas besoin des Hispaniques pour l’emporter : ces derniers y comptent pour une faible part de la population, en raison des redécoupages électoraux successifs. En outre, certains, comme les Tea Party, refusent toute loi sur l’immigration, moins par racisme que par opposition au « socialiste » Obama qui, selon eux, cherche une fois de plus à réguler le fonctionnement de la société américaine, à se mêler de choses « qui ne regardent pas » Washington.

C’est ce qui fait dire au sénateur républicain Lindsay Graham, connu pour ses positions modérées, que son parti est dans une « spirale de la mort démographique ».

J. Boehner veut avancer progressivement. Mais il risque alors d’avoir face à lui un autre type d’opposition : des élus des deux bords ont déjà averti qu’ils n’hésiteraient pas à formuler un projet de loi dissident, plus volontariste, si celui proposée par la Chambre leur paraissait trop frileux. Le risque est donc, une fois de plus chez les républicains depuis ces dernières années, qu’aucun accord ne soit possible mais que tout le monde soit fâché.

Les militants pro-réforme ont annoncé des actions de mobilisation et des manifestations tout au long de l’année 2014, pour mettre la pression sur le Congrès. Parmi eux, les acteurs économiques sont bien décidés à faire entendre leur voix. Ils comptent sur la signature d’un compromis avec la Maison blanche juste avant les élections de mi-mandat. Néanmoins, rien ne devrait se passer avant les primaires (mai ou juin), disent certains spécialistes. Le compte à rebours a commencé…

L’immigration sera bien l’un des principaux débats politiques de 2014 aux Etats-Unis.