RECENSION de « L’amour des Loving » (Ed. Baker Street)

14150365Recension de « L’Amour des Loving », de Gilles Biassette, parue sur le site du supplément livres de L’Obs, Bibliobs.

Ce jour (de 1967) où les Etats-Unis ont supprimé l’interdiction des mariages mixtes…

L’Amérique a changé mais certains ne veulent pas le voir. Quelques semaines après l’élection de Barack Obama, en 2009, Harry Connors, sénateur à la retraite, se résout de manière stupéfiante à ce constat. Lui qui, durant toute sa carrière, avait fermement défendu la ségrégation « raciale » au nom de l’identité de l’Amérique et de la lutte contre la « dégénérescence la race blanche », se réjouit donc de l’arrivée au pouvoir d’un Président noir. Le sénateur Connors, c’est l’autre personnage-clé du roman que Gilles Biassette consacre à une histoire vraie mais méconnue, et dont l’issue sera cependant déterminante pour les droits des minorités : celle de Richard et Mildred Loving.

Le couple vit en Virginie à la fin des années 1950. Ils s’aiment, attendent leur deuxième enfant, et souhaitent se marier. Aux yeux de la loi de leur Etat, cependant, ce n’est pas possible parce qu’il est blanc et qu’elle est noire avec du sang indien. Dans le Sud, les mariages mixtes sont encore illégaux. Richard décide alors de faire le voyage à Washington avec Mildred pour l’épouser. De retour à Central Point, en Virginie, ils sont dénoncés, arrêtés et condamnés à un an de prison. Le juge leur propose une peine alternative, à peine plus enviable : l’exil, l’interdiction de revenir dans leur Etat pendant 25 ans.

Central Point, cette petite ville « indifférente et hors du temps » de l’Amérique profonde est à l’image du couple Loving : des gens simples qui ne font pas de politique et ne souhaitent rien que de rester après des leurs, dans un coin des Etats-Unis qu’ils n’ont jamais quitté. Aussi le départ est-il pour eux douloureux, incompréhensible, insupportable. Ils s’y résolvent néanmoins et s’installent chez des cousins à Washington. Mais le combat naissant pour les droits civiques leur redonne espoir.

Inégaux parce que différents

Le 28 août 1963, ils assistent presque par hasard au discours de Martin Luther King au Lincoln Memorial et, sur les conseils de leur entourage, décident d’écrire au ministre démocrate de la Justice, Robert Kennedy. Au prix d’une bataille juridique acharnée, soutenus par des associations et des avocats visionnaires, les Loving gagneront leur combat et pourront, enfin, revenir chez eux. Ils seront à l’origine d’un arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis : en 1967, dans son arrêt « Loving versus Virginia », celle-ci supprimera l’interdiction des mariages mixtes. L’Histoire de l’Amérique en sera changée à jamais.

Dans ce roman à tiroirs gravitent d’autres protagonistes tout aussi fascinants : le sénateur Connors qui cache un secret inavouable. Ou encore Bill Greene, le fils d’un ami de Richard, qui, pour faire des études, se fait passer pour un Blanc alors qu’il est Noir aux yeux de la loi (la fameuse goutte de sang) mais qu’il a la « chance » d’avoir la peau claire – on pense à Coleman Silk, le héros du roman de Philip Roth, « La tache ». Et bien sûr John Bouvier, le journaliste aux origines québécoises (l’alter ego de l’auteur ?), qui mène l’enquête sur les Loving et Harry Connors.

« L’amour des Loving » raconte une époque pas si lointaine, celle de la ségrégation légale. Malgré lui, peut-être, ce livre passionnant trouve un écho dans notre actualité : dans une ville du Sud des Etats-Unis, des Noirs rassemblés dans une église viennent d’être massacrés par un suprémaciste blanc de 21 ans. Partout dans le pays, de jeunes hommes et femmes afro-américains sont encore abattus par la police pour un simple soupçon, un geste, un regard.

En 1958, en Virginie, « les élites locales s’affairaient dans l’espoir, bien illusoire et vain, de ralentir le cours de choses », écrit Gilles Biassette. Cette phrase pourrait décrire les combats conservateurs d’arrière-garde dans des Etats-Unis de 2015 plus multiculturels que jamais. L’Amérique a changé, mais certains ne veulent toujours pas le voir.