La tuerie de Colorado Springs, symbole de cette Amérique blanche qui craint de disparaître ?

Publié sur le Huffington Post, le 30 novembre 2015

Ermite, misanthrope, soupçonné de violences conjugales, Robert L. Dear Jr. a-t-il tué trois personnes, dont un policier, et blessé neuf autres dans un centre du planning familial du Colorado pour des motifs politiques ? Ou bien est-il « seulement » psychologiquement dérangé ?

Connu dans son entourage pour ses pamphlets anti-Obama et son opposition à l’avortement, cet homme blanc de 57 ans est décrit par son ex-femme comme un « homme en colère ». On est alors tenté de le ranger dans la catégorie des « angry white men« , selon la formule du sociologue Michael Kimmel, spécialiste des tueries de masse aux Etats-Unis.

Il convient de rester prudent car l’enquête est en cours. Mais Robert Deal aurait déclaré, lors de son arrestation, « no more baby parts » (littéralement : « plus de bébés en morceaux »). Depuis plusieurs mois, les tensions sont vives autour du Planned Parenthood (équivalent de notre Planning familial), qui dénonce la recrudescence d’un climat de violence, de la part des anti-avortement. Les Républicains du Congrès veulent mettre un terme aux subventions fédérales dont le Planned Parenthood bénéficie et des vidéos mensongères circulent, faisant croire que les partisans du droit à l’avortement sont favorables à des manipulations sur les fœtus à des fins de recherche médicale.

Les anti-avortement sont connus, aux Etats-Unis, pour des faits de violence et même de meurtres contre des médecins. Leur mouvement est aujourd’hui plus puissant que les pro-choice. Depuis quelques années, l’obsession de limiter l’avortement se double d’un enjeu culturel, celui de l’évolution démographique inéluctable qu’est en train de vivre le pays. La perspective, pour certains Américains protestants et d’origine européenne, de devenir minoritaires d’ici 30 ans n’est pas tolérable. Aujourd’hui, près de 50 % des enfants âgés de moins d’un an ne sont pas des Blancs caucasiens et, selon les projections des chercheurs et des services du recensement, ce groupe ne sera plus majoritaire à l’horizon 2050, au profit, notamment, des Hispaniques. Une grande partie des conservateurs y voient la fin de l’Amérique blanche. Pour eux, la filiation se construit sur un fondement biologique absolu – disons-le, « racial » – qu’il s’agit de défendre coûte que coûte : d’où cette illusion qu’en interdisant l’avortement, les femmes caucasiennes mettront au monde plus d’enfants… et sauveront l’identité de l’Amérique. Pour certains, la nation blanche ferait même l’objet d’un projet d’anéantissement, avec la complicité de l’administration Obama qui encourage le multiculturalisme.

Le combat contre l’avortement rejoint ainsi le refus de la diversité culturelle et religieuse. Cette double conjuration de la modernité, de l’émancipation n’est pas sans rappeler les alliances et les programmes de l’extrême droite et d’une partie de la droite française aujourd’hui.