INTERVIEW. « Revirements de Trump sur la Corée du Nord, la Syrie, la Russie », pour LCI

Interview publiée sur le site de LCI, le 4 mai 2017 et réalisée par Thomas Guien

Le président américain, Donald Trump, a confié lundi qu’il serait « honoré » de rencontrer Kim Jong-Un, après avoir invité le sulfureux Philippin Rodrigo Duterte à la Maison Blanche. Des décisions qui interviennent après des revirements dans sa politique étrangère, décidément insaisissable. Le point de vue de Marie-Cécile Naves, sociologue et spécialiste des Etats-Unis.

LCI : Après le cap des 100 jours, Donald Trump a pris un virage à 180 degrés sur certaines promesses en matière de politique étrangère (OTAN, Russie, Chine…). S’est-il heurté au principe de réalité ?

Marie-Cécile Naves : En effet. Cela s’explique par plusieurs raisons, la première étant que Donald Trump est quelqu’un qui, sur beaucoup de sujets, n’a pas de convictions profondes. Il agit en fonction de ce qu’il voit à la télévision, de ce que les médias disent de lui. Mais aussi selon ses dernières rencontres : c’est un peu comme si « le dernier qui a parlé » avait raison. Par exemple, avec le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg : auparavant, il jugeait cette organisation « obsolète », « coûteuse » et « inutile ». Le lendemain de son entretien avec lui, l’OTAN est devenue fantastique, elle n’était plus « obsolète » mais « utile » dans la lutte contre le terrorisme.

LCI : Est-ce aussi le cas pour la Syrie ?

Marie-Cécile Naves : Oui, quand il a bombardé l’usine chimique de Bachar al-Assad en avril. Cela résulte d’un changement de rapport de force dans son entourage, puisque suite à différents échecs en politique intérieure la ligne isolationniste de certains conseillers (Steve Bannon / Stephen Miller / Michael Flynn) a perdu du terrain par rapport à celle des généraux (Herbert Mc Master, James Mattis…) qui sont plus interventionnistes. Il est inquiétant de voir qu’en fonction de celui qui a l’oreille de Trump la stratégie change. Il faut ainsi s’habituer au fait que ce président raisonne à court terme. Et les autres puissances doivent prendre acte de cela.

LCI : Donald Trump a-t-il une forme d’attraction pour des dirigeants autoritaires, tel que Vladimir Poutine, Kim Jong-Un ou Rodrigo Duterte ?

Marie-Cécile Naves : Je pense même qu’il est fasciné par les dictateurs. Durant la campagne, il avait d’ailleurs témoigné son admiration pour Saddam Hussein. Le fait qu’il puisse être dans un dialogue avec eux et être en mesure de prendre l’ascendant lui permet de se glorifier lui-même, de donner l’image d’un homme fort. Et ce au moment même où il va d’échec en échec en politique intérieure. C’est un moyen de faire diversion.

LCI : Sa politique intérieure influerait-elle sa politique étrangère ?

Marie-Cécile Naves : Oui, car jusqu’ici rien n’a fonctionné comme il l’avait prévu. Il a raté tout ce qu’il avait promis : les décrets sur l’immigration, l’absence de mise au vote pour sa réforme de la Santé, les difficultés qu’il va avoir pour faire passer son budget… Chaque « victoire » en politique étrangère lui permet de faire diversion. Par exemple quand il a bombardé l’usine chimique en Syrie : durant quelques jours, il est apparu comme le chef du monde libre.

LCI : En l’absence d’une doctrine solide, Donald Trump raisonnerait-il avant tout par opportunisme ?

Marie-Cécile Naves : Par opportunisme, et par court-termisme. Cela est assez déstabilisant pour les partenaires des Etats-Unis, qui doivent s’y habituer et prévoir plusieurs scénarios. Barack Obama, lui, était un président réaliste, ni interventionniste ni pacifique. Avant lui, George W. Bush avait une ligne néo-conservatrice. Là, il n’y a ni doctrine ni conviction. Et c’est d’autant plus déroutant que Donald Trump semble influençable.

LCI : Un profil synonyme d’inquiétude dans un dossier comme celui de la Corée du Nord ?

Marie-Cécile Naves : On va de rebondissement en rebondissement ; il y a encore trois semaines, on se demandait s’il n’allait pas déclencher une guerre. Désormais, il se dit prêt à rencontrer Kim Jong-Un. Sachant que ce dernier n’a, jusqu’ ici, rencontré aucun chef d’Etat étranger… On passe d’une menace de guerre à une volonté de négocier, de se rencontrer. Tout cela est un tourbillon.