Pourquoi Trump s’appuie sur les “hommes blancs en colère”

Interview pour "L'Humanité", le 30/01/18

Interview réalisée par Christophe Deroubaix.

États-unis.  Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), décortique les dimensions raciale et genrée de la stratégie du président américain, Donald Trump.

Qui sont ces « angry white men » , ces hommes blancs en colère, dont vous parlez dès le début de votre ouvrage (1) ? Et pourquoi font-ils confiance à Trump ?

marie-cécile naves L’expression « angry white men » est celle du sociologue américain Michael Kimmel. Ces « hommes blancs en colère », qui représentent une minorité, n’acceptent pas les changements démographiques (multiculturalisme, immigration) et les évolutions sociales comme l’égalité femmes-hommes ou les droits des LGBT. Ils pensent être victimes d’une discrimination à l’envers en matière de prestige social et d’accès aux ressources (éducation, santé, emploi, etc.). Le patriarcat, la masculinité hégémonique (et blanche), qui s’inscrivent dans des structures sociales, « raciales » et genrées des États-Unis, comme de l’ensemble des pays occidentaux, sont en effet fragilisés. Ces individus estiment avoir des droits immuables et ont la nostalgie d’une époque où ils n’étaient pas « concurrencés » par les femmes et les minorités.

C’est avant tout à eux que Trump s’adresse dans ses interviews, ses meetings, ses tweets et son iconographie. Restaurer une Amérique blanche idéalisée (des années 1950), fermée aux immigrés mexicains, aux musulmans et aux produits chinois, où l’emploi industriel masculin serait préservé, répond à des frustrations que l’élection d’Obama avait cristallisées et que Trump a instrumentalisées. C’est un projet identitaire. Trump incarne, par sa personne et son parcours, un patriarcat blanc.

Comment expliquez-vous que ces « hommes blancs en colère », en déclin démographique dans une Amérique de plus en plus diverse, aient réussi à « reprendre » la Maison-Blanche après deux mandats exercés par le premier président noir de l’histoire du pays ?

marie-cécile naves Dans un sens, ils ont en effet « repris » la Maison-Blanche à un Noir, Obama, qu’ils considéraient comme illégitime. Pour eux, avec Trump, tout est rentré dans l’ordre. L’élection de Trump est ce que j’ai appelé un « boomerang anti-Obama ». Obama a galvanisé l’ultradroite et les médias conservateurs. Le succès du Tea Party, dans les années 2009-2013, leur doit beaucoup. Fox News qualifiait Obama d’« Halfrican American » (tout autant Africain qu’Américain). Le doute sur la nationalité et la religion d’Obama a été longtemps entretenu, en premier lieu par Trump qui avait compris le potentiel politique de l’Amérique raciste. C’est pour cette raison que la campagne de 2016 a été l’occasion d’une revanche sur la gauche culturelle incarnée par ce président noir, Hillary Clinton et le Parti démocrate.

Trump est un président clivant, mais Obama l’a beaucoup été aussi, sur fond d’imaginaire raciste et de refus des changements démographiques des États-Unis, qu’il incarnait d’une certaine manière. Trump a donc été élu en partie sur un projet et un discours fortement identitaires, ceux de l’Amérique fermée sur elle-même en termes économiques, culturels, religieux, sexués, « raciaux » ; une Amérique d’« avant », parfaitement mythifiée. Cependant, sa politique économique, fiscale et sociale favorise les individus les plus aisés, pas les classes moyennes et populaires dont beaucoup de ces « angry white men » sont issus.


Une Amérique « d’avant » où on ne souciait guère d’environnement également. Vous affirmez que la domination masculine sur les femmes relève de la même logique que la domination sur la nature.

marie-cécile naves Dans mon livre, je rappelle le travail de la chercheuse américaine Arlie Russell Hochschild, qui a publié en 2016 Strangers in Their Own Land (étrangers dans leur propre pays). Elle s’est immergée parmi la population de Louisiane victime de la pollution au mercure et aux produits chimiques de grandes usines et a montré que les convictions des électeurs républicains, pro-Tea Party et pro-Trump, n’étaient pas ébranlées. Pour eux, la pollution est un risque à prendre pour garder les emplois. On est loin d’Erin Brockovich ! Aujourd’hui, l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste est bien accueillie parce que des emplois locaux sont créés… à court terme. C’est une vision « old school » de l’économie, qui, d’une part, est considérée comme incompatible avec l’écologie – ce qui est faux sur le moyen terme –, et qui, d’autre part, renvoie là encore à un passé idéalisé. C’est celui des industries traditionnelles, exploitant la nature, dans la tradition capitaliste productiviste et consumériste. Et ce sont principalement des emplois masculins qui sont en jeu.

Les habitants des bayous de Louisiane, comme d’autres, ont une culture de l’endurance et de l’adaptation. C’est la philosophie des pionniers.

La protection de l’environnement par les pouvoirs publics est vue comme une intrusion inacceptable dans leurs vies, mais aussi comme un processus injectant de la douceur, du care, qui renvoie au « féminin », à la passivité.

 

L’acceptation de la pollution participe de cette logique de domination et de mise en danger de soi.

L’exploitation de la nature jusqu’à l’épuisement des ressources est une caractéristique de la masculinité hégémonique, de la volonté de toute-puissance de l’homme sur son environnement. Et la surutilisation des ressources naturelles est la marque d’une Amérique combative, dominatrice, fière de la force physique de ses hommes. Ce qu’entretient le président Trump, qui dérégule la chasse et les élevages intensifs, relance les forages pétroliers en mer, et détruit les mesures environnementales d’Obama.

(1) Trump, la revanche de l’homme blanc. Éditions Textuel, 154 pages, 15,90 euros.