La Coupe du monde masculine de football 2018 est l’occasion de lever certains préjugés sur le plus universel des sports, adulé par beaucoup et critiqué par d’autres sans nuance. Règne de l’argent, de la corruption, symbole du sport-business et de ses dérives…
S’il n’est pas en soi vertueux, s’il n’est pas non plus censé échapper au droit commun, le football est aussi un vivier de savoir-faire, de compétences et d’expériences innovantes au service, notamment, de l’éducation et des solidarités. Or, ce vivier demeure sous-exploité par le politique et les institutions de manière plus globale.
Le football ne doit pas se limiter pas à la compétition (masculine) et à l’obsession de fabriquer des champions. Il ne doit pas non plus incarner le projet de canaliser la violence ou l’énergie, par « essence » débordante selon certaines représentations, des gamins de banlieue. Ces schémas-là ont vécu et rares sont ceux qui en ont la nostalgie.
Une génération plus sédentaire
La jeunesse d’aujourd’hui pâtit des effets d’une diminution de son activité physique au quotidien et du manque de reconnaissance, de la part de ses aînés, de sa volonté de s’impliquer dans la société. Ainsi, en Europe, la génération actuelle des enfants, filles et garçons, est plus sédentaire que ne l’était au même âge celle qui la précède. Ce constat, pour le moins contre-intuitif, est le résultat de plusieurs enquêtes récentes et convergentes, dont Physical Activity Serving Society (PASS), menée dans le cadre d’Erasmus plus.
Par ailleurs, et contrairement là encore à une idée reçue, les adolescents et jeunes adultes – quel que soit leur milieu social, leur sexe ou leur territoire de vie – s’engagent dans la vie de la cité ou sont tentés de le faire mais ne trouvent pas toujours la structure ou l’offre adaptée à leurs envies.
Dans les deux cas, le sport, et particulier le football, peuvent être un levier facilitateur. Aucun remède miracle n’existe ; dès lors, aucun angélisme ne doit être de mise. En d’autres termes, les valeurs du sport ne se décrètent pas. Il n’y a pas de formule magique pour que football rime avec intégration ou avec cohésion sociale. Ce qui compte, ce sont les innombrables dispositifs qui méritent d’être évalués et mis en valeur, qu’ils viennent du sommet ou du terrain, parce qu’ils œuvrent à faire de la pratique et de la culture du football des outils innovants d’apprentissage et de respect de soi et des autres.
Un foisonnement d’initiatives inspirantes
Il faut tout d’abord souligner le volontarisme de l’État et de la Fédération française de football (FFF) depuis plusieurs années. Le renouvellement, en mai 2018, de la convention entre la FFF, le ministère des Sports, le ministère de l’Éducation nationale et les fédérations sportives scolaires a permis de poursuivre le travail engagé depuis 2015 pour sensibiliser et former les enseignants aux apports pédagogiques de ce sport, en interdisciplinarité avec les mathématiques, l’histoire-géographie, l’enseignement moral et civique, l’éducation aux médias et à l’information ou encore les sciences de la vie et de la terre.
En outre, la Fédération a fait du développement de la pratique féminine, dès le plus jeune âge, une priorité qui porte ses fruits et diffuse le message, auprès des jeunes et de leurs familles, que la mixité et l’égalité filles-garçons dans le sport sont un vecteur indispensable de progrès social.
Au niveau local, et parfois micro-local, c’est un foisonnement d’initiatives pour promouvoir de manière indissociable, grâce au football, le partage, le plaisir du jeu, la citoyenneté, la pédagogie et la confiance en soi. L’association Tatane, par exemple, publie des ouvrages illustrés, organise des événements qui valorisent la pratique ludique et « dé-codifiée » du football chez les enfants et adolescents ou encore met en place des tournois de baby-foot dans les maisons de retraite. Parce qu’elle se veut un laboratoire de rencontre et de création artistique, sportive et universitaire, elle décloisonne les genres, comme l’illustrent les « battles » d’orchestres d’enfants, à la Philharmonie, pendant l’Euro masculin de 2016.
Dans les quartiers populaires, urbains, périurbains et ruraux, un grand nombre d’associations, de taille souvent modeste, sont parties des besoins et des nouveaux modes de vie des populations pour redonner aux jeunes le goût de l’apprentissage et de la transmission, grâce au football. Leurs actions sont aussi des leviers pour remettre en mouvement, par le plaisir du jeu, sans les contraintes des horaires et des règles des clubs et de la compétition, des enfants devenus sédentaires.
Accompagner une forme renouvelée d’éducation populaire
Il serait utile de pouvoir documenter, par la recherche et notamment la recherche participative, et évaluer ces expériences et leurs retombées afin de les valoriser et de les diffuser. Les pouvoirs publics n’ont pas nécessairement vocation à s’en emparer car le risque est grand de les dénaturer, mais plutôt à encourager et accompagner, par des moyens humains et financiers, cette forme renouvelée d’éducation populaire.
Dans le cadre des réformes législatives actuellement en débat au Parlement, une plus grande reconnaissance de l’engagement associatif, du bénévolat et des compétences qu’ils permettent d’acquérir mais pas encore de transférer dans les secteurs de la formation et de l’emploi, est une piste évidente.
Et parce que les véritables innovations ont un impact au-delà de leur sphère d’influence initiale, partager, comme des biens communs, la connaissance et l’expertise permises par ces initiatives est essentiel en démocratie. Le football, sport universel, est une ressource dont les décideurs auraient tort de se priver.
Article publié aussi sur mon blog.
Photo : Garçons et filles sur le pré (ici en septembre 2008). Raphaël Labbé/Flickr, CC BY-SA