Shutdown : « Le mur est un prétexte pour Trump pour entrer dans la bataille d’opposition avec les démocrates »

Interview pour "20 Minutes", le 9.01.18

Propos recueillis par Helene Sergent.

« Le président Trump doit cesser de prendre les Américains en otage. » L’avertissement, donné mardi janvier par la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, sera-t-il entendu par le président américain ? Rien n’est moins sûr au regard du discours prononcé quelques minutes avant, depuis le bureau Ovale, par le locataire de la Maison-Blanche.

Dix-neuf jours après le début du «shutdown» qui paralyse partiellement les administrations fédérales, le président américain est resté inflexible à propos de la construction du mur à la frontière avec le Mexique, seule solution selon lui pour endiguer la criminalité et l’immigration illégale dans le pays. Le bras de fer engagé avec l’opposition risque de se poursuivre en dépit du risque politique auquel s’expose Donald Trump, selon Marie-Cécile Naves, chercheuse à l’IRIS spécialiste des Etats-Unis et auteure de Trump, la revanche de l’homme blanc (Ed. Textuel, 2018).

Quelle analyse faites-vous du discours prononcé hier par Donald Trump ? A-t-il convaincu les Américains ?

Il est trop tôt pour dire s’il sort renforcé mais il est évident que c’était le but de cette prise de parole. Ce qui frappe dans cette intervention, c’est surtout la forme. C’est la première fois que Donald Trump s’adresse à la nation depuis le bureau Ovale. Le ton était plus solennel, il a souhaité présidentialiser le sujet.

On aurait pu imaginer qu’il s’adresserait aux Américains dans ce contexte pour un sujet engageant la nation, sur un plan militaire par exemple, or là il le fait sur un sujet hautement partisan et très « politique ».

Même s’il a dit des contrevérités comme il peut le faire sur Twitter, ce n’est pas une communication à laquelle il nous avait habitués. Et s’il a fait ce choix d’une forme solennelle, c’est parce qu’il est ici question d’une de ses grandes promesses de campagne qu’il n’a pas pu tenir pour l’instant.

Peut-on dire que les Etats-Unis traversent une crise politique majeure et si oui, pourquoi ?

Cette obsession du « mur » à la frontière mexicaine, c’est la première étape d’une opposition plus frontale entre Trump et les démocrates qui risque de perdurer pendant deux ans et qu’il compte très largement attiser. Nous sommes déjà dans la campagne pour 2020, et ce depuis les élections de mi-mandat. Donald Trump a perdu la Chambre démocrate et il a du mal à l’accepter, donc il choisit de mettre en place cette opposition en renvoyant notamment la responsabilité du blocage institutionnel sur les démocrates et en expliquant qu’ils refusent de gouverner en faveur de l’intérêt général.

Il reproche aux démocrates de ne pas vouloir le renforcement du contrôle de l’immigration illégale alors qu’en réalité le sujet a divisé son propre parti pendant deux ans. Les républicains et les courants qui traversent le parti (libertariens, chrétiens, pro-business etc.) étaient eux-mêmes incapables de se mettre d’accord sur la politique migratoire et la réforme de la législation.

Le mur, finalement, c’est presque un prétexte pour entrer dans cette bataille d’opposition avec les démocrates. D’autant que le prolongement du blocage institutionnel semble ne pas l’effrayer. Si le « shutdown » se poursuit jusqu’à la fin de la semaine, le record historique sera battu (21 jours de blocage sous Bill Clinton en 1995) et on a le sentiment que battre ce record ne serait pas pour lui déplaire.

On assiste ici à la « saison 2 » du trumpisme qui va se traduire par un raidissement sur les questions identitaires, comme on a pu le voir pendant les élections de mi-mandat​ où il a tenté de galvaniser sa base électorale en axant la campagne sur la criminalité et l’immigration illégale.

Quels sont aujourd’hui les scénarios de « sortie de crise » existants ?

Il faut un compromis au niveau du Congrès. Du côté du Sénat, de plus en plus d’élus y seraient favorables. Mais le responsable de la majorité au Sénat a dit qu’il ne présenterait une loi de compromis sur le budget uniquement s’il avait l’assurance que Trump la signe. Or rien n’est moins sûr pour l’heure.

Il semble aujourd’hui improbable que le Congrès vote le financement de ce mur – en sachant que sa mise en place tout au long de la frontière est impossible en raison notamment de la présence du Rio Grande.

On peut aussi envisager que Donald Trump pousse jusqu’au bout le bras de fer pour gagner du temps puis accepte ce compromis pour se placer dans une posture présidentielle, celle du « sauveur » qui prend ses responsabilités.

Si Donald Trump et le Congrès ne parviennent pas à un accord, quelles peuvent être les conséquences politiques, économiques et sociales d’une prolongation du shutdown ?

Tout le monde serait perdant. Démocrates comme républicains, et ils le savent bien. Le blocage institutionnel passe mal auprès de l’opinion publique et nuit à la popularité de tout le monde. À ce stade, pour les Américains, Trump est perçu comme principal responsable de cette situation, il a donc plus à perdre que l’opposition.

En 2013, le « shutdown » lié à la loi « Obamacare » avait jeté un discrédit important sur toute la classe politique. Enfin, il ne faut pas oublier que la prolongation de ce blocage a un impact sur la croissance, toute l’administration est au ralenti et cela se répercute forcément sur l’économie.