Impeachment : les démocrates lancent la procédure, la Maison-Blanche déclassifie un document

Interview pour "La Croix", le 25/09/19

Aux États-Unis, les démocrates accusent Donald Trump d’avoir utilisé la politique étrangère du pays pour affaiblir son potentiel rival Joe Biden. Des documents déclassifiés mercredi 25 septembre confirment qu’il a bien évoqué le sujet au cours d’une conversation avec le président ukrainien. L’ouverture d’une enquête marque le début d’une longue procédure qui n’a que peu de chance d’aboutir à une destitution (impeachment). Par Gilles Biassette.

Nancy Pelosi a franchi le Rubicon. Mardi 24 septembre, la présidente démocrate de la Chambre des représentants a ouvert la voie à une procédure d’« impeachment ». « Aujourd’hui, j’annonce [l’ouverture] d’une enquête officielle en vue d’une procédure de destitution, a-t-elle déclaré lors d’une courte allocution. Les actes du président jusqu’à ce jour ont violé la Constitution. »

La Chambre des représentants, à majorité démocrate depuis les législatives de novembre 2018, a le pouvoir d’étudier les faits reprochés au président, la mise en accusation (« impeachment ») du locataire de la Maison-Blanche. Si une majorité de représentants (équivalents de nos députés) vote l’impeachment, le Sénat doit alors conduire le « procès ». Ce n’est toutefois que si les deux-tiers des Sénateurs jugent le président coupable qu’il est destitué.

Pour l’heure, ce scénario est hautement improbable : les républicains, majoritaires au Sénat, font bloc derrière leur président. Pour cette raison, Nancy Pelosi avait, depuis son entrée en fonction en janvier, résisté aux appels répétés de ses collègues démocrates à ouvrir le feu contre la Maison-Blanche. À ses yeux, les soupçons de collusion avec la Russie et d’obstruction à la justice étaient insuffisants pour rallier l’opinion publique. Lancer la procédure risquait, en 2020, de faire mordre la poussière aux élus démocrates de circonscriptions modérées et, pire encore, de mobiliser les républicains autour de Donald Trump.

Documents déclassifiés

Mais l’affaire ukrainienne, qui a éclaté cette mi-septembre, a changé la donne. Le locataire de la Maison-Blanche est soupçonné d’avoir utilisé la politique étrangère du pays à des fins politiques : il aurait demandé, le 25 juillet, au nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky, lors d’une conversation téléphonique, d’enquêter sur le fils de Joe Biden, possible adversaire démocrate en novembre 2020. Hunter Biden a travaillé pour un groupe gazier ukrainien à partir de 2014 et son père, alors vice-président de Barack Obama, aurait pu utiliser son pouvoir pour favoriser les affaires de son fils.

Pour forcer la main de Kiev, Donald Trump aurait-il mis dans la balance l’aide militaire américaine ? Quelques jours avant le coup de téléphone du 25 juillet, la Maison-Blanche avait ordonné le gel de près de 400 millions de dollars destinés à l’Ukraine, somme finalement débloquée, sans véritables explications, à la mi-septembre. Le président américain a bien demandé au président Volodymyr Zelensky d’enquêter sur le fils de son potentiel rival, selon les documents déclassifiés diffusés mercredi 25 septembre par la Maison-Blanche. « Il n’y a pas eu la moindre pression », a cependant réagi Donald Trump, en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. « C’est probablement la plus grande chasse aux sorcières de l’histoire américaine (…) C’est une honte », a-t-il ajouté.

Un allié surprenant, nommé par Donald Trump

Si Nancy Pelosi lance enfin ses troupes, malgré le risque potentiel de mettre le clan Biden en difficulté, « c’est sans doute parce qu’elle a des éléments solides », estime Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut des relations internationales et stratégiques (1).« Nancy Pelosi et les démocrates se disent peut-être, ajoute-t-elle, qu’un nouveau cap a été franchi et que s’ils laissent faire, alors le champ sera libre pour Trump pour aller plus loin encore. »

En la circonstance, Nancy Pelosi compte aussi un allié de poids : Michael Atkinson. Nommé inspecteur général des services de renseignement par Donald Trump, cet avocat inconnu du grand public supervise le travail de la communauté du renseignement. C’est lui qui a alerté le Congrès, le 9 septembre, au sujet d’un problème « urgent » – la fameuse conversation au téléphone, apprendra-t-on plus tard – soulevé par un lanceur d’alerte « crédible ». Le 17 septembre, il dénonçait dans un autre courrier le chef des renseignements, qui refuse de communiquer les détails de ce dossier au Congrès. Or, assure Michael Atkinson, l’affaire est suffisamment grave pour que le « peuple américain » en soit informé.

(1) Auteure de Géopolitique des Etats-Unis, Textuel, 2018, 182 p., 16,90 €.

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