Le 29 avril 2021, j’étais l’invitée du 5/7 de France Inter, à l’occasion des 100 premiers jours au pouvoir du président Joe Biden. Interview par Laëtitia Gayet.
Le président américain Joe Biden, en tenant ce mercredi devant le Congrès son discours de politique générale, a dressé le tableau d’une Amérique de nouveau debout, après une série de redoutables crises. Il a affiché sa volonté réformatrice, appelant les plus riches à « payer leur juste part« . À la veille du cap symbolique de ses 100 jours de présidence, le locataire de la Maison Blanche a ainsi décliné son « Projet pour les familles américaines », d’un montant total de près de 2.000 milliards de dollars, qu’il entend financer par des hausses d’impôts.
Un discours « volontariste »
Biden rompt, de cette manière, avec 40 ans de retrait du gouvernement de la société et de l’économie. « C’est beaucoup plus interventionniste », selon Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS, et spécialiste des USA : « C’est un discours extrêmement optimiste, volontariste, qui va avec le fond et qui tranche énormément avec son prédécesseur, qui était soit dans le ‘wishful thinking’ (tout ça va s’améliorer tout seul, la Covid, par exemple) ou soit dans une nostalgie, dans un pessimisme et dans des accusations d’ennemis intérieurs et extérieurs. Donc là, on est vraiment dans un temps complètement différent ».
« Il y a un élan d’optimisme et envie de suivre le président [Biden] dans les réformes qu’il est en train de mener, sachant qu’il a un calendrier extrêmement serré »
Selon la spécialiste, Biden veut en effet « passer ses grosses réformes avant les élections de mi-mandat qui ont lieu dans un an et demi. Maintenant, c’est un président de la transformation. Il est devenu beaucoup plus ambitieux dans ces réformes, d’une part, parce qu’il y avait une volonté de tourner la page extrêmement forte. Et puis, parce que l’Amérique traverse des crises très importante. La Covid a fait des dégâts énormes. Il y a une crise démocratique énorme aux Etats-Unis, une crise sociale, une crise économique. Petit à petit, pendant la campagne électorale, il est devenu beaucoup plus volontariste et interventionniste dans la société et l’économie ».
Considérer les plus pauvres
Pour Marie-Cécile Naves, Joe Biden a retenu les leçons des mandats de ses prédécesseurs : « Il était vice-président quand Obama est arrivé au pouvoir, avec ce souvenir que, dans la gestion de la crise de 2008, la présidence Obama s’est beaucoup attaqué à redresser les banques, à redresser l’industrie automobile et peut être à oublier un peu la population qui avait souffert de la crise. Et suite à cette crise, les inégalités se sont énormément creusées aux Etats-Unis. Il y a un écart énorme entre les plus riches et les plus pauvres. Il retient cette leçon. Il retient aussi que c’est en partie cela qui a amené Trump au pouvoir« .
Elle note également que « c’est l’aile gauche, vraiment, du Parti démocrate sur le terrain, qui est extrêmement mobilisée et qui le fait gagner. Donc il a des comptes à leur rendre ».
« Il y a la peur aussi, d’un retour d’un nouveau Trump en 2024, si la classe moyenne est oubliée. »
Et la clé, pour montrer sa considération à l’égard des classes moyennes, c’est aussi, selon la chercheuse, de faire payer les plus riches, « de rééquilibrer un peu l’énorme réforme fiscale en faveur des très, très riches et des très grosses entreprises. Ça reste assez modeste dans les ambitions, mais quand même, la dynamique est là. Effectivement, ça tranche avec 40 ans de retrait de l’état, de la société et de l’économie« .
Nouveau ton diplomatique
« Il y a une rupture de ton par rapport à Donald Trump, c’est à dire qu’on est effectivement dans la fermeté. Ce ne sont plus l’insulte, les invectives, les menaces. Et sur le fond, ça veut donner l’image d’une présidence qui est ultra préparée » analyse-t-elle sur le plan diplomatique : « C’est-à-dire, fini les volte face, les revirements d’opinion, les revirements de stratégie. On est vraiment dans une politique volontariste de restauration du leadership américain, de multilatéralisme modéré, de volonté de redonner une bonne image des Etats-Unis dans le monde ».
« Les Etats-Unis, c’est une présidence et une diplomatie extrêmement préparée, experte, qui rompt avec le président du chaos qu’on a eu en diplomatie pendant quatre ans ».
En revanche, la chercheuse prévient : « Il ne faut pas s’attendre à ce que Biden soit toujours toujours dans le sens des Européens. Il y aura des intérêts américains qui seront défendus, notamment sur l’extraterritorialité du droit américain en matière économique et puis, aussi, dans le domaine commercial et fiscal. «