Après avoir été grand reporter, Virginie Herz est aujourd’hui chroniqueuse politique internationale et rédactrice en chef à France 24, où elle présente également l’émission « ActuElles ». Un grand merci pour l’entretien qu’elle m’a accordé dans le cadre de l’Observatoire Genre et Géopolitique de l’IRIS. Publié le 18 juin 2021.
Quel est l’objectif de votre émission, « ActuElles », sur France 24 ?
L’objectif est multiple. Je souhaitais mettre l’accent sur les femmes et les droits des femmes dans l’actualité internationale, alors qu’elles en sont souvent absentes ou qu’on a l’impression qu’elles sont surtout des victimes. Bien sûr, les discriminations et les violences contre les femmes sont encore nombreuses. Il faut donc en prendre conscience, mais aussi montrer que des choses bougent, qu’il existe des initiatives, des role models, qu’on peut changer le cours des événements, et qu’il n’existe pas d’ordre « naturel » des choses.
Les femmes sont des actrices de l’actualité internationale, bien qu’elles soient encore beaucoup exclues des processus politique ou de paix. Elles sont en première ligne dans les révolutions ou les contestations de rue (je pense au Soudan, aux printemps arabes, et les exemples sont nombreux, partout). « ActuElles » invite donc non seulement à se rendre compte des mécanismes de domination, mais aussi à s’intéresser à celles et ceux qui les remettent en cause.
En outre, le féminisme peut être une grille de lecture de l’actualité internationale.
Il est également important de s’adresser à toutes et à tous. « ActuElles » n’est pas un magazine féminin. Il s’adresse autant aux hommes qu’aux femmes. Nos téléspectatrices et téléspectateurs résident en particulier en Afrique du Nord et en Afrique subsaharienne. Nous avons un partenariat avec la revue Courrier international et l’émission existe aussi en anglais, arabe et espagnol : les angles sont un peu différents dans les autres langues, par exemple, le sous-titre anglais est « Women Reshaping the World ». En français, originellement, le pitch d’« ActuElles » était : « l’émission sur celles et ceux qui font bouger un monde encore largement dominé par les hommes ».
Je constate par ailleurs la diversité de notre audience via les réseaux sociaux : sur Twitter, les féministes constituent un public acquis et qui se sent encouragé, alors que sur Facebook ce sont surtout des hommes et, sur Instagram, le public est plus jeune et plus mixte qu’ailleurs.
Comment l’émission s’inscrit-elle dans votre parcours de carrière ?
Auparavant, j’étais grand reporter ; je me suis rendue sur des lieux de crise en Afrique, en Asie, en Amérique latine, pour couvrir des coups d’État, des situations post-électorales. Au cours de mes reportages, j’ai réalisé à quel point la condition de femme était injuste à travers le monde, comme lorsque je relatais l’actualité au Darfour avec une collègue arabophone : beaucoup de femmes et de jeunes filles étaient violées quand elles allaient chercher du bois et de l’eau ; or, la division sexuée du travail et des tâches, très figée, était un frein à la lutte contre ce fléau. J’ai ainsi appris à comprendre que les solutions occidentales dans la lutte contre les violences faites aux femmes ne pouvaient pas fonctionner partout, de manière automatique.
Après la naissance de mon premier enfant, j’ai ressenti l’envie d’occuper un poste plus sédentaire et surtout avec un emploi de temps un peu plus prévisible ». C’est moi qui ai proposé de lancer « ActuElles » : notre PDG était féministe et c’est une émission peu coûteuse, ce qui a aidé ! Je suis l’aînée de quatre filles et j’ai été éduquée dans l’idée que l’égalité allait de soi. Mais par la suite, j’ai compris que ce n’était pas du tout évident dans l’ensemble de la société. C’est aussi pour cela que j’ai voulu faire cette émission.
Avez-vous constaté une évolution du paysage médiatique sur les questions féministes et les droits des femmes ?
« ActuElles » fait encore figure d’exception dans le paysage audio-visuel français, même si, bien sûr, la thématique prend de plus en plus de place dans les médias, mais aussi l’édition, les expositions, les musées, etc. Le traitement médiatique est en cours de changement. L’émission, je l’ai proposée il y a huit ans, elle est diffusée depuis 2013. Au départ, l’incompréhension, voire l’impression de ne pas être dans le « dur » de l’info, l’incrédulité quant au fait qu’il y ait assez de choses à dire, que la thématique n’était pas « has been », prédominaient. Et puis, avec #MeToo, nous sommes devenus avant-gardistes ! C’est un énorme changement dans les perceptions.
Dans l’idéal, notre émission ne devrait pas exister, pas plus que les expositions consacrées aux « femmes peintres », aux « femmes artistes ». Malheureusement, les violences de genre, les inégalités de traitement persistent. Il faut, à l’heure actuelle, se réjouir que ces sujets intéressent le public. Souhaitons que cela dure longtemps.